Évaluer la qualité de l’air et les risques associés à l’aide de méthodes faciles à utiliser associant les citoyens: un défi dans les zones de sacrifice environnemental au Chili

Nouvel article interdisciplinaire Lucie Le Goff, Anne Peltier et Frédérique Blot

Publié le 6 mars 2025 Mis à jour le 20 mars 2025

Une surveillance environnementale interdisciplinaire basée sur la combinaison de géochimie (biosurveillance) et des sciences sociales (perception des risques), en partenariat avec les habitants, a permis les risques environnementaux et sanitaires liés à la présence de métaux dans l'air dans la zone de sacrifice environnemental de Til Til.

Cet article évalue la qualité de l'air en recoupant les analyses biochimiques et les connaissances des habitants de la province de Chacabuco (région métropolitaine de Santiago, Chili), où l'incertitude sur les risques sanitaires prévaut en raison de la forte concentration d'infrastructures industrielles, dont deux bassins de décantation de résidus miniers, dans la zone de sacrifice environnemental de Til Til.

Eva Schreck (géochimiste), Lucie le Goff (géographe) et Zoë Fleming (chimiste atmosphérique), principales co-auteures de l’article, nous livrent leurs réflexions sur ce projet interdisciplinaire international.
 

À gauche : bassin de décantation minier Las Tórtolas, connecté à la mine de cuivre Los Bronces de la compagnie minière Anglo American®, Quilapilún Alto, janvier 2020 (L. Le Goff®) / À droite : poussières en suspension au-dessus du bassin de décantation minier Ovejería, connecté à la mine de cuivre División Andina de la compagnie minière Codelco®, Huechún, janvier 2020 (L. Le Goff®)
 

L'originalité de ce travail réside dans le développement d'un dispositif interdisciplinaire de surveillance de la qualité de l'air qui intègre les connaissances des riverains pour produire une évaluation environnementale plus proche des préoccupations sanitaires des habitants des territoires productifs.
En combinant la perception sociale du risque, la cartographie cognitive et l'analyse biochimique des poussières atmosphériques, une estimation des risques environnementaux et sanitaires actuels est proposée pour répondre aux incertitudes des populations locales exposées quotidiennement, en l'absence d'un système de surveillance publique permanent dans la région.

Notre objectif était de caractériser l'état de la qualité de l'air et de déterminer l'existence de risques environnementaux et sanitaires, grâce à une recherche interdisciplinaire impliquant :

  • des géographes (Laboratoire Géographie de l'Environnement (GEODE), Université de Toulouse Jean Jaurès, CNRS, France),
  • des sociologues et des géochimistes (Laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (GET), Observatoire Midi Pyrénées, Université de Toulouse, CNRS, France).


Elle a été réalisée en intégrant les connaissances locales et scientifiques, en transformant les préoccupations des habitants en questions de recherche et en évaluant leur perception du risque de pollution atmosphérique, à la fois pour déterminer les sites d'échantillonnage pertinents et pour analyser les résultats de la biosurveillance.
Les poussières atmosphériques analysées ont été collectées à l'aide de deux instruments faciles à utiliser et peu coûteux installés sur cinq sites convenus avec la communauté locale :

  1. des plantes épiphytes connues sous le nom de « claveles del aire » (Tillandsia bergeri)
  2. des collecteurs Owen en forme de seau, où les particules se déposaient naturellement.
    Les habitants ont collaboré à l'installation et à la collecte des plantes trois fois par an.

« Nous avons étudié leur exposition aux polluants en utilisant des méthodes peu coûteuses en collaboration avec des habitants de la province de Chacabuco qui vivent à proximité de résidus miniers, de l'industrie et de la pollution agricole. Pendant la pandémie, la collecte d'échantillons étant difficile, ces méthodes peu coûteuses de captage des poussières et l'utilisation de plantes absorbant les contaminants ont permis d'identifier de manière exhaustive les concentrations de métaux et les effets potentiels sur la santé humaine dans plusieurs localités. Ces données, associées à l'analyse des vents et à la localisation des sources potentielles, permettent d'identifier les lieux présentant les risques sanitaires les plus élevés et l'origine des métaux », explique Zoë Fleming.


À gauche : jauge Owen et trois plantes “claveles del aire” (T. bergeri) pour une année de biosurveillance. Station de mesure de Santa Matilde, janvier 2020 (E. Schreck®) / À droite : récolte d’une plante “clavel del aire” (T. bergeri) par un travailleur agricole. Station de mesure de El Colorado, juin 2021 (Frutera Aguas Blancas®)
 

L'analyse des cartographies et des discours a révélé une zone de préoccupation environnementale majeure dans un espace que nous avons appelé « le triangle de l'incertitude » et une zone d'exposition au risque de pollution atmosphérique dans le centre et le nord-est de la province de Chacabuco. Les habitants craignent que les tourbillons de poussière en suspension dans l'air qui se produisent depuis quelques années aient des conséquences sur leur santé.

Les plantes présentent une accumulation de métaux (As, Cu, Cr, Mn, Pb, Ni, Zn) variable selon les sites sous l'influence de facteurs abiotiques (vent et, dans une moindre mesure, pluviosité). En ce qui concerne l'évaluation des risques, l'analyse des plantes révèle un risque environnemental dans la zone d'étude avec trois sites (Santa Matilde, El Colorado et Polpaico) modérément à fortement impactés (facteurs d'enrichissement et taux de contamination).
En parallèle, les analyses microscopiques et spectroscopiques identifient différentes origines de métaux et metalloïdes dans l'air. Par exemple, à Santa Matilde, ils proviennent de barrages de résidus miniers, à El Colorado d'activités industrielles et agricoles, et à Polpaico d'activités industrielles. Parallèlement, l'analyse des poussières provenant des jauges Owen exclut l'existence d'un risque sanitaire par inhalation (quotient de danger ou risque de cancer) dans les conditions actuelles. Toutefois, il est suggéré de mettre en place une surveillance permanente pour tenir compte de l'exposition chronique et des effets environnementaux sur le long terme.
 

« Cette recherche met en évidence, grâce au dialogue commun des chercheurs en géographie et sciences humaines et sociales d’une part et des chercheurs en biogéochimie d’autre part, une contamination de l’air de la province de Chacabuco, site déjà identifié par sa population comme une « zone de sacrifice environnemental ». Elle confirme, par des données chiffrées et des analyses chimiques, le ressenti et la perception spatiale de la pollution par la population, quant à son exposition à des métaux toxiques. Cette contamination de l’air dépend des sites d’étude et, même si elle reste limitée et localisée, pourrait avoir des conséquences environnementales et sanitaires à la suite d’une exposition chronique de la population », résume Eva Schreck
 

En conclusion, la perception spatiale du risque de pollution atmosphérique par les habitants coïncide dans une large mesure avec la zone où les indices de pollution atmosphérique ont été détectés. L'étude montre que, dans la réalité, cette zone est encore plus étendue. Les mesures sur le terrain révèlent un risque de pollution atmosphérique modélisé par les couloirs de vents dominants qui s'étendent de la localité de Polpaico au sud-ouest à la localité d'El Colorado au nord-est, en passant par la zone entourant la cimenterie et les bassins de décantation miniers. Il est également confirmé que le « triangle d'incertitude » est la zone où la concentration de métaux et métalloïdes en suspension dans l'air est la plus élevée. En outre, les données géochimiques concordent avec la perception des habitants, qui ont identifié certaines sources de contamination à proximité des zones résidentielles.

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