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Le réseau écologique sombre, un nouveau concept pour lutter contre la pollution lumineuse
La lumière artificielle nocturne constitue une menace croissante pour la biodiversité à l’échelle mondiale. Au cours de la période 2012-2016, les émissions de lumière ont augmenté globalement à un taux annuel moyen de 2,2 % et impactent à présent plus de 88 % des espaces nocturnes européens. La lumière artificielle nocturne affecte notamment les rythmes biologiques ou les mouvements des individus d’un grand nombre d’espèces, ce qui provoque des effets en cascade sur les écosystèmes. Pour tous ces effets négatifs avérés, la lumière artificielle nocturne est désormais considérée comme une pollution à part entière – la pollution lumineuse. Parmi les multiples effets de cette pollution, la fragmentation et la perte des habitats sont actuellement une préoccupation centrale, tant pour les sciences de la conservation que pour les sciences du territoire.
Les travaux en écologie attestent que la lumière artificielle crée, via de multiples processus spatiaux et temporels, des effets de barrières qui entravent directement ou indirectement les déplacements des individus et induisent un isolement spatial ou temporel des populations qui pourrait, à terme, limiter le flux de gènes entre les populations et donc la persistance des populations à plus long terme. Par ailleurs, la multitude de sources lumineuses favorise l’accumulation d’individus de nombreuses espèces dans les zones éclairées, attire des prédateurs tels que les chauves-souris insectivores et modifie l’activité migratoire d’un grand nombre d’espèces. À terme, la lumière artificielle nocturne pourrait donc compromettre la réalisation du cycle de vie des espèces.
Les travaux en géographie environnementale et aménagement de l’espace montrent que, jusqu’à présent, les politiques territoriales de préservation de l’environnement nocturne peinent à saisir l’ensemble des effets de la pollution lumineuse. D’une part, les enjeux liés à l’efficience énergétique des systèmes techniques d’éclairage et à la qualité du ciel étoilé occultent souvent les enjeux écologiques de la préservation de l’obscurité. D’autre part, un fossé considérable persiste entre des solutions techniques d’atténuation de la pollution lumineuse à l’échelle locale (par exemple le choix des luminaires ou les pratiques communales d’extinction de l’éclairage public en milieu de nuit) et la mise en œuvre de zonages de limitation de la pollution lumineuse à des échelles plus larges (par exemple via des labels de qualité du ciel étoilé) qui se focalisent sur les zones associées à l’exceptionnalité de la voûte céleste, mais ignorent les espaces et les nuits ordinaires.
C’est pour combler ce fossé qu’une équipe interdisciplinaire de chercheurs du CNRS, du MNHN et d’INRAE, issus notamment des laboratoires Géographie de l'Environnement (GEODE – CNRS / Univ. Toulouse - Jean Jaurès), Théoriser et modéliser pour aménager (ThéMA - CNRS / Université-Bourgogne-Franche-Comté), du Laboratoire dynamiques sociales et recomposition des espaces (LADYSS – CNRS / Univ. Panthéon-Sorbonne / Univ. Vincennes-Saint-Denis / Univ. Paris Nanterre / Univ. de Paris), du Centre d'Ecologie et des Sciences de la Conservation (CESCO – MNHN / CNRS / Sorbonne Université) et du Laboratoire Territoires, Villes, Environnement & Société (TVES - Université de Lille / Université du Littoral Côte d'Opale), vient d’introduire dans la revue Ecology and Society le concept de “réseau écologique sombre”. Ce concept souligne l’importance de l’obscurité comme nouvelle dimension de la connectivité écologique. Ce faisant, il place la préservation de la biodiversité ordinaire au premier plan de la lutte contre la pollution lumineuse. En intégrant les processus écologiques associés aux paysages nocturnes dans la planification de la conservation de la biodiversité, il offre une double perspective pour une préservation intégrée de l’environnement nocturne : lutter contre l’homogénéisation des paysages et la fragmentation des habitats d’une part, et insérer les théories de la conservation dans les pratiques ordinaires d’aménagement d’autre part. En France par exemple, ce concept trouve une traduction dans un nouvel outil en cours de formalisation, la Trame noire, qui vient compléter la politique Trame verte et bleue (TVB) issue du Grenelle de l’environnement.
Au-delà des enjeux de préservation de la biodiversité, la lumière artificielle nocturne représente une part importante de la consommation énergétique mondiale, avec 20 % de la consommation mondiale d’électricité, 6 % des émissions de CO2 et 3 % de la demande mondiale en pétrole. Rien qu’aux États-Unis, l’International Dark-sky Association estime qu’au moins 30 % de tout l’éclairage extérieur est gaspillé. Toujours selon cette ONG, ce gaspillage coûte annuellement jusqu'à 3,3 milliards de dollars et émet, sur la même période, 21 millions de tonnes de dioxyde de carbone. Cette pression anthropique croissante contribue au changement environnemental global par de multiples mécanismes liés à la culture, à la santé et à l’écologie.
Références :
Challéat, S.*, K. Barré*, A. Laforge, D. Lapostolle, M. Franchomme, C. Sirami, I. Le Viol, J.
Milian, and C. Kerbiriou. 2021. Grasping darkness: the dark ecological network as a social-
ecological framework to limit the impacts of light pollution on biodiversity. Ecology and Society 26(1):15.
Contact :
Samuel Challéat : Géographie de l'Environnement (GEODE – CNRS / Univ. Toulouse - Jean Jaurès) samuel.challeat@univ-tlse2.fr
Kévin Barré : Centre d'Ecologie et des Sciences de la Conservation (CESCO – MNHN / CNRS / Sorbonne Université)
Hugo Struna : Correspondant communication - Centre d'Ecologie et des Sciences de la Conservation (CESCO – MNHN / CNRS / Sorbonne Université)
Franck Vidal : Correspondant communication - Géographie de l'Environnement (GEODE – CNRS / Univ. Toulouse - Jean Jaurès) franck.vidal@univ-tlse2.fr