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Hommage à Didier Galop
Didier Galop, palynologue et géographe, était un spécialiste incontournable de l’anthropisation des milieux montagnards et des coévolutions sociétés-environnement sur le temps long. Il arpentait avec une énergie incroyable l’ensemble de la chaîne pyrénéenne qui demeurait son lieu de travail de prédilection bien qu’il déployait d’autres recherches dans d’autres parties du monde : Amérique latine, Antilles (Saint-Martin, Marie Galante, Guadeloupe), Jamaïque, L’île de la Réunion, Afrique, Europe de l’Est etc. Comme en témoigne un entretien récent (https://www.univ-tlse2.fr/accueil/recherche/science-societe/17-didier-galop-terrien-chercheur), son attachement pour les Pyrénées remonte à son enfance où il écoutait avec enthousiasme son oncle pédologue et géologue qui lui parlait de « ses montagnes ».
Après un Bac en Sciences Naturelles, Didier Galop a suivi des études supérieures en Géographie à l’Université Toulouse-Le Mirail. Il a poursuivi jusqu’au mémoire de maîtrise qui portait sur l’histoire des forêts ariégeoises : « Historique forestier et dynamique de versants en vallée de Goulier ». C’est à ce moment-là qu’il a été piqué par la recherche. Il découvrait avec passion les approches pluridisciplinaires sur l’anthropisation développées à Toulouse par les géographes Georges Bertrand et Jean-Paul Métailié, en particulier dans le cadre du projet Interdisciplinaire de Recherche sur l’Environnement (PIREN) « Histoire de l’environnement » développé au sein du laboratoire GEODE, autrefois nommé CIMA.
Dans ce cadre, Didier Galop envisageait le potentiel de l’étude des archives naturelles (lacs, tourbières) grâce aux travaux de palynologues comme Guy Jalut ou Hervé Richard. Sur les conseils de son directeur de mémoire de Diplôme d’Étude Approfondi, Jean-Paul Métailié, Didier Galop s’est formé à la palynologie à l’Université Paul-Sabatier, se plaçant en avant-garde dans les recherches entre géographie et palynologie. Tout naturellement, les montagnes pyrénéennes ont été son premier terrain scientifique où il a réalisé les premiers d’une longue série de carottages pour retracer six millénaires d’anthropisation des Pyrénées de l’Est dans sa thèse soutenue en 1997.
Recruté en 1998 au CNRS en tant que chargé de recherche à Besançon, au laboratoire Chronoenvironnement, puis Toulouse, médaillé de Bronze du CNRS en 2001, il a travaillé pendant plus de 35 ans sur l’histoire holocène des dynamiques d’interactions entre les sociétés humaines et leur environnement.
Ses travaux ont profondément marqué et inspiré toute une génération de palynologues, d’archéologues et de paléoenvironnementalistes. Au travers de l’analyse des grains de pollens fossiles conservés dans les lacs et les tourbières, couplée progressivement à l’étude d’autres indicateurs tels que les micro-charbons, les microfossiles non polliniques ou encore les métaux lourds, il a patiemment décrypté l’histoire de l’anthropisation des Pyrénées d’est en ouest, intimement liée au développement du pastoralisme depuis le début du Néolithique.
Il a transmis sa passion et son savoir auprès de nombreux étudiant.es, doctorant.es et postdoctorant.es dont certain.es sont aujourd’hui des chercheuses et des chercheurs reconnu.es (Florence Mazier, Damien Rius, Anaëlle Simonneau…). Il a toujours eu la conviction, qu’il a défendue corps et âme, que cette nécessaire documentation des trajectoires socio-environnementales passées pouvait apporter des clés de compréhension des changements en cours et à venir et constituer des bases indispensables à une meilleure gestion et conservation des socio-écosystèmes dont la durabilité est menacée par les changements globaux. Le sous-titre de son habilitation à diriger des recherches soutenue en 2014 affirmait ainsi que « Le passé a de l’avenir ». C’est dans cette perspective, mais également pour structurer la recherche dans les Pyrénées, que Didier Galop a monté et dirigé depuis 2009 l’Observatoire Hommes Milieux Pyrénées Haut-Vicdessos, un dispositif qui a permis de mobiliser, stimuler et fédérer durablement une communauté scientifique très large (https://www.inee.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/hommage-didier-galop). Cet observatoire financé par l’INEE (Labex DRIIHM) visait également à développer des recherches sur les changements récents (introduction d’espèces invasives, contaminations, réchauffement climatique, etc.) affectant de façon brutale les grands espaces pastoraux, les lacs et les zones humides de montagne.
L’étude et le suivi de ces milieux ont occupé l’énergie de Didier Galop ces 10 dernières années. Le pastoralisme, l’alevinage, les retombées azotées atmosphériques des fertilisants et divers contaminants ont modifié et modifient ces écosystèmes jusque dans leur composition chimique. Didier Galop reconstituait cette histoire dans ses moindres détails en mobilisant, dans le cadre de très nombreuses collaborations, des batteries d’analyses tout comme les sources historiques qu’il déchiffrait régulièrement lors de nombreux séjours dans des dépôts d’archives qui l’ont amené jusqu’aux archives princières de Monaco… Il transmettait ses connaissances et ses compétences auprès des gestionnaires de l’environnement et en particulier en tant que membre du Conseil Scientifique du Parc National des Pyrénées et de la réserve Naturelle du Néouvielle.
Pour renforcer le suivi des lacs à l’échelle du massif pyrénéen, Didier Galop a fondé en 2013 l’Observatoire Pyrénéen des Lacs d’Altitude constitué d’un réseau d’une dizaine de sites instrumentés en partie localisés dans le territoire du Parc National des Pyrénées. Il avait à ce titre très récemment rejoint le réseau des lacs sentinelles. Didier Galop a été également co-fondateur et co-directeur d’un autre Observatoire en Patagonie (OHMi-Patagonia) pour étudier l’impact du changement climatique sur la biodiversité mais également les conséquences du développement d’une économie touristique et productive sur des écosystèmes jusqu’alors préservés.
Transmettre ses connaissances à la communauté universitaire, au grand public et aux gestionnaires lui tenait particulièrement à cœur. Il a ainsi dispensé des cours à l’École du paysage de Bordeaux, aux masters « Dynamique des Milieux de montagne » (DYNEM, UT2J), « Gestion et Évaluation des environnements Montagnards » (GEMO, UT2J), « Environnement, Santé, Société » (ESS, UFC) pour sensibiliser les étudiant.es aux approches historico-environnementales. Il s’était particulièrement investi ces dernières années dans le master GEMO pour lequel, au-delà des cours, il organisait des séances sur le terrain de mise en pratique des méthodes d’analyse environnementale, très appréciées des étudiant.es. Depuis quelques années, il œuvrait pour diffuser ses travaux de recherche vers le grand public et les gestionnaires en participant à de nombreuses conférences.
Sa disparition brutale laisse un vide immense au sein de la communauté scientifique du site toulousain, mais aussi au sein de la communauté nationale et internationale. Toute l’équipe du laboratoire GEODE, profondément marquée par cette disparition, se concerte pour gérer au mieux son héritage scientifique. Il faudra sûrement plusieurs années pour traiter les nombreuses données qu’il a accumulées et en tirer des publications majeures.
Didier vu par Jean Paul Métailié
Les commencements sont des moments excitants et il y en a qui ont été porteurs sur la longue durée… En 1986, un programme de recherches que j’ai proposé sur « La forêt charbonnée » est retenu par le PIREN CNRS « Histoire de l’environnement ». On commence à travailler avec Jérôme Bonhôte, Claude Dubois, archéologue, sur les sites métallurgiques et de charbonnage, et une volée d’étudiants passionnés par le sujet intègre le projet. On est là en repérage devant le crassier de scories du site métallurgique de la forge du Moulinas, dans la vallée de L’Artigue, en Vicdessos. De gauche à droite : Philippe Dupuy, Claude Dubois, François Bonnassie, Bernard Davasse et Didier Galop, qui vient de commencer sa maîtrise sur « Historique forestier et dynamique de versants en vallée de Goulier ».
Didier vu par Franck Vidal
Derrière le masque il y a un sourire. D’une oreille à l’autre.
Il rentrait dans mon bureau, se plantait devant la mappemonde et on jouait aux petits coqs à coups de kérosène. Et puis la pandémie. Et puis son accident. Presque 3 ans à mettre entre parenthèses ses envies de Patagonie, de Marie-Galante, de Réunion et même de Chine. Il fallait qu’il aille loin pour être sûr de m’énerver et hors de question de ne pas aller voir ailleurs comment est la Recherche. Juste une parenthèse.
Et puis le 02 mai 2022, malgré les restrictions un peu partout dans le monde, malgré le masque obligatoire durant 12 ou 13 heures de vol, les vaccins, les attestations, les incertitudes, cette photo sur mon Messenger et cette phrase laconique : « Je suis dans l’avion, ma poule ! Enfin ! »
Tout était dit.
Franck
Didier vu par Guirec
Didier appréciait particulièrement les missions sur les lacs pyrénéens. J’ai eu la chance de partager ces moments hors du temps avec lui, ces quelques heures de parenthèse, dans cette vie bien remplie qu’il menait, lui permettait de se ressourcer. C’est lors de ces moments privilégiés qu’il m’aura transmis une partie de son savoir sur ce milieu qu’il connaissait si bien, et bien plus encore.